Un enjeu majeur : l’adaptation du monde digital à l’autorégulation

Points de vue

Je suis particulièrement heureux et fier de reprendre la parole en tant que Président de l’ARPP, dont le Conseil d’Administration m’a renouvelé sa confiance, le 14 octobre 2015, pour effectuer un second mandat quadriennal. La concertation, au sein de l’ARPP, entre les trois acteurs du monde publicitaire – les annonceurs, les agences et les médias – joue un rôle majeur pour faire vivre la régulation professionnelle permettant de combiner la liberté de création publicitaire indispensable à toute vie économique et une communication responsable vis-à-vis des citoyens et des consommateurs. Cette organisation de « droit souple » pourrait inspirer nombre d’autres secteurs !

François d’Aubert, Président de l’ARPPLa célébration, durant toute l’année 2015, des 80 ans de l’autorégulation publicitaire en France et des 7 ans d’existence de sa forme actuelle sous la dénomination ARPP, a été l’occasion de mesurer les progrès patiemment réalisés jour après jour.

La régulation professionnelle de la publicité a fait ses preuves depuis plusieurs décennies. Son défi, aujourd’hui, est de mieux s’adapter aux acteurs du monde digital. Certes, nos règles leur sont applicables, la Recommandation ARPP Communication publicitaire digitale (enrichie dans sa 4ème version depuis 2000 et adoptée en octobre 2015) s’impose à toute personne partie prenante de la chaîne de valeur d’un message publicitaire diffusé sur le territoire français. Mais il est plus que jamais important de faire partager à l’ensemble de cette chaîne, y compris aux prestataires techniques, le même sens de la responsabilité, dans l’intérêt des professionnels comme des consommateurs. Ces derniers ont clairement démontré ces dernières années qu’ils savaient résister à la publicité si elle allait trop loin. Le développement des Ad blockers [1] met en cause le modèle du numérique gratuit. Le Conseil de l’Ethique Publicitaire (CEP) s’est emparé de ce sujet en septembre dans son Avis « Blocages publicitaires : l’impasse » appelant à une réelle réflexion éthique sur ce phénomène, qui aurait fait perdre, dans le monde [2] , 21,4 milliards de dollars de recettes aux sites web en 2015 ; l’estimation du manque à gagner étant de 41 milliards en 2016. L’enjeu dépasse largement la thématique de la seule publicité digitale, les reproches qui lui sont faits affectant de plus en plus la perception qu’ont les Français de la publicité dans son ensemble.

L’autorégulation est affiliée à la logique anglo-saxonne du contrat et n’est pas encore suffisamment reconnue, même si cette reconnaissance progresse, la France s’inscrivant dans une culture de réglementation, de législation, saupoudrée de pénal. A ce propos, le nombre de textes législatifs ou réglementaires, qui continuent d’arriver, est hallucinant. On se dirige vers une interdiction de la publicité des produits financiers pour les opérateurs Forex, on vit sous la menace d’une réglementation plus restrictive concernant les allégations relatives aux produits cosmétiques [3] , on ajoute de nouvelles mentions dans des messages déjà surchargés… mais aussi périodiquement sur celle de la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique…

J’en appelle donc, ici, aux régulateurs de tous bords, pour qu’ils résistent à la tentation facile de tout réglementer sans en mesurer les impacts et la bonne proportionnalité. Dans un monde complètement ouvert et en perpétuelle mutation, c’est souvent inefficace, d’autant plus quand les contrevenants sont des acteurs installés hors de France, ou pire incitant à la délocalisation.

J’en appelle également à l’ensemble des acteurs de la communication publicitaire pour que chacun s’investisse, à hauteur de ses capacités, dans une démarche collective. Dans ce contexte, qui se durcit, la régulation professionnelle doit encore et toujours se renforcer. Je les invite à résister à tout individualisme et à ne pas voir seulement l’autodiscipline sous l’angle déontologique avant diffusion. L’ARPP est un lieu unique de dialogue et de concertation entre les trois grandes familles d’un même beau et respectable métier, la publicité, et c’est par l’implication de chacun, y compris dans la définition des règles du jeu, que s’exerce une régulation moderne, efficace et respectée. Une régulation adaptée aux enjeux car fondamentalement internationale dans son Code d’origine dès 1937 et dans son organisation en Europe (AEEP/EASA) depuis 1992. Une régulation, qui sache répondre au défi d’offrir un très haut niveau de sécurité, tant pour les professionnels, leur liberté d’entreprendre, leur réputation, leurs activités… que pour les consommateurs inquiets dans leur vie économique, dans un environnement social et mondial plus complexe. Ces consommateurs s’attendent à des messages respectueux sans demander que l’on tombe dans des excès de précaution, qui aseptiseraient le discours, car ils aiment la publicité lorsqu’elle fait preuve de créativité pour les étonner, les faire rire, les séduire… Ils ne l’aiment pas quand elle les choque, les dérange, quand elle est intrusive, indiscrète, et il est de notre responsabilité collective de les écouter, de les comprendre et de respecter leurs choix.

François d’Aubert,
Président de l’ARPP

Paris, le 24 mai 2016

[1] Logiciels bloqueurs de publicité
[2] Selon une étude Pagefair/ Adobe menée en juin 2015
[3] 2016 est l’année du rapport à la Commission européenne sur les critères communs, repris dans la Recommandation « Produits Cosmétiques »