Un arbitrage déséquilibré entre le risque et la liberté.

« Je m’inquiète de la généralisation d’une conception de la société qui irait vers toujours plus de traçabilité et de contrôle aux dépens de notre libre-arbitre de citoyen et de consommateur ».

François d'Aubert, Président de l'ARPP.
Points de vue

François d’Aubert, Président de l’ARPP.

Nous vivons dans un monde de plus en plus sujet aux injonctions, aux interdictions, aux limitations des libertés individuelles. Si lutter contre une pandémie mondiale peut rendre nécessaire et donc acceptable de sacrifier, pour un temps limité, nos droits et nos libertés fondamentales au nom de l’intérêt collectif, je m’inquiète de la généralisation d’une conception de la société qui irait vers toujours plus de traçabilité et de contrôle aux dépens de notre libre-arbitre de citoyen et de consommateur pour déboucher sur plus d’interdictions, plus de mentions, plus de lois…

La publicité est souvent la première à subir de plein fouet cette tentation de légiférer, très franco-française. De plus en plus instrumentalisée par les politiques, les groupes de pression, les communautaristes, etc., elle a encore subi en 2019, de réelles menaces de velléités normatives, voire d’interdictions pures et simples pour certains produits. Comme si le consommateur n’était pas capable de faire ses propres choix de consommation, alors que l’on juge le même individu citoyen suffisamment mature pour déposer un bulletin de vote dans une urne électorale !

Les textes récents – la loi d’orientation des mobilités  [1] , la loi sur l’économie circulaire  [2] , etc. -, vont toujours dans le sens d’une restriction de la liberté de communiquer et jamais dans celui de l’allégement des contraintes dans un cadre responsable.

C’est pourquoi nous restons vigilants au sein de l’ARPP et de l’Alliance Européenne pour l’Éthique en Publicité (AEEP/EASA) sur la transposition dans le droit français de la Directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) afin qu’aucun excès de zèle ne conduise à des positions de repli sur la communication. C’est pourquoi nous nous employons également, portés par nos adhérents (marques, agences, médias), à faire reconnaître explicitement le rôle de l’ARPP dans les lois et réglementations et à éviter que trop de textes ne soient pas applicables, du fait notamment de l’inflation contreproductive des mentions.

À ce stade, il me paraît important de rappeler que la loi est faite pour fixer des grands principes immuables plutôt que de réagir à des changements brutaux et parfois désordonnés, sans mesure préalable de leurs effets potentiels et sans avoir regardé ce qui existe déjà au niveau de l’autorégulation professionnelle concertée avec la société civile, dont l’efficience est attestée par des bilans réguliers.

Faire confiance à une autorégulation de la publicité largement démontrée

Car l’autorégulation publicitaire, qui fêtera en août prochain en France son 85ème anniversaire, couvre déjà tous les domaines avec ses 30 Recommandations ; ses règles éthiques ayant l’avantage d’être actualisables rapidement et de manière pragmatique, sans avoir systématiquement recours à la loi et à l’argent public. De plus, ses règles sont plus facilement adoptées car elles prennent en compte les réalités du terrain, étant écrites par les professionnels adhérents de l’ARPP après avoir pris le pouls de la société civile au sein du Conseil Paritaire de la Publicité. Le Conseil de l’Ethique Publicitaire tient également son rôle, en amont, en anticipant et décryptant pour l’ARPP les enjeux auxquels sont confrontées la communication et l’autorégulation publicitaire. Enfin, le Jury de Déontologie Publicitaire intervient, en aval, si la publicité a choqué, pour vérifier que les règles déontologiques ont bien été respectées.

Grâce aux travaux de ses instances associées, l’ARPP ne cesse de faire évoluer ses règles éthiques, cette adaptation continue permettant à notre Autorité de rester en phase avec les attentes de la société et les évolutions inhérentes aux technologies et aux métiers de la publicité. Y compris sur les sujets sensibles comme l’image et le respect de la personne (et notamment de la femme) ou le développement durable, etc., sujet sur lesquels l’ARPP est depuis toujours attentive, aux côtés des acteurs du marché, dans un esprit de concertation et de responsabilisation.

La publicité comme moteur du changement

Nous vivons dans une époque où la publicité est devenue un bouc émissaire facile dès que surgit l’embryon d’une crise sociétale. Sa légitimité est de plus en plus questionnée dans des discours souvent caricaturaux, occultant son rôle positif comme moteur de l’économie(permettant notamment la diffusion des innovations, des nouveaux usages) et sa participation à la démocratie en finançant, pour une large part, les médias. On l’accuse de manipulation alors qu’elle est clairement identifiée comme étant de la publicité et, de façon paradoxale, on lui demande d’aider à modifier les attitudes et les comportements en prônant des valeurs considérées comme positives pour la société, la santé, l’environnement, etc.

La situation liée à la Covid-19 fait que nous entrons dans une urgence sociale et économique qui va sans doute durer plusieurs années. Avec plus de 4,5 millions de chômeurs en avril 2020 [3]  selon Pôle emploi, et des prévisions de l’INSEE [4]  évaluant à un cinquième du PIB (-21 %) la perte d’activité de la France liée à la crise sanitaire, c’est plus que jamais le moment de mettre en avant le rôle de levier économique de la communication, plutôt que continuer à la brider, après une chute spectaculaire de la consommation des ménages en biens de 34,1 % en avril 2020 (vs avril 2019) après déjà -17,0 % en mars 2020 sur un an [5] .

L’automobile, le transport aérien, le tourisme, l’hôtellerie-restauration, etc., sont aujourd’hui des secteurs sinistrés. Parmi tous les leviers à actionner, ils ont besoin que la publicité redonne aux Français, dans la mesure de leurs moyens, l’envie de consommer à nouveau pour relancer rapidement la machine.

Les nombreuses études menées durant la période de confinement montrent que les Français ont transformé leurs habitudes de consommation, parfois à marche forcée – la plupart des commerces étant fermés – et nul ne peut prédire quelle sera leur attitude dans le « monde d’après ». Mais une chose est sûre, ils ont modifié leurs attentes vis-à-vis des marques, et les experts s’accordent à pronostiquer que cette crise n’est que l’annonciateur ou l’accélérateur d’une période de bouleversement de la consommation dans laquelle les consommateurs seront encore plus attentifs demain à l’engagement RSE des entreprises et des marques et notamment à leurs efforts en matière de développement durable.

Il est donc important que les marques et les entreprises puissent pleinement valoriser leurs engagements et leurs réalisations en matière de questions écologiques, afin que la publicité exerce sa faculté d’être un moteur du changement et participe à une transition écologiqueéconomiquement et socialement supportable, en accompagnant et faisant adhérer à la transformation des modèles productifs dans un temps partagé, avec un esprit de consensus entre toutes les parties prenantes ; la marque de fabrique de l’autorégulation publicitaire.

Bien entendu, même en période de crise, les principes d’identification de la publicité, de véracité, de loyauté, etc., restent intangibles, car plus que jamais la publicité doit être responsable pour conserver la confiance des consommateurs… et créative pour faire bouger les lignes.

Honoré de la confiance renouvelée en octobre 2019 par le Conseil d’Administration de l’ARPP pour un nouveau mandat à sa présidence, mon engagement à continuer à défendre l’intégrité du dispositif de l’autorégulation de la publicité en France reste plus que jamais intact, mais de plus renforcé pour affronter aux côtés des professionnels les difficultés inédites qui nous attendent.

A cette occasion, j’invitais nos dirigeants actuels à jouer naturellement la complémentarité dela loi et de l’autorégulation professionnelle de la publicité, qui contribue à l’amélioration et au perfectionnement de l’activité de la communication en respectant le fragile équilibre entre, la liberté de création et le respect du consommateur. Pas un mot n’est à retirer.

Paris le 15 juin 2020.

[1]

Loi n° 2019-1428 publiée au Journal officiel le 26 décembre 2019.

[2]

La Loi relative à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire, parue au journal officiel du 11 février 2020 encadre notamment la distribution de prospectus, interdit la publicité offrant de fort rabais en dehors des périodes de soldes et l’obsolescence marketing, etc.

[3]

Plus précisément (au 28 mai 2020), 4 575 500 chômeurs avec une hausse record en avril en France de 22,3 % sur un mois pour la seule catégorie (A) des demandeurs d’emploi sans aucun emploi, et 6 712 900 demandeurs d’emplois toutes catégories (+ 2,9 %). https://dares.travail-emploi.gouv.fr/dares-etudes-et-statistiques/statistiques-de-a-a-z/article/les-demandeurs-d-emploi-inscrits-a-pole-emploi-les-series-mensuelles-nationales

[4]

4) Point de conjoncture du 27 mai 2020. La perte selon l’INSEE est même de – 42 % pour   les branches principalement marchandes). Cf : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4498146

[5]

Consommation mensuelle des ménages en biens – parution du 29 mai 2020. https://www.insee.fr/fr/statistiques/serie/010565753